Une jurisprudence sous forme de douche froide.
La fédération française de naturisme (FFN) et l’association pour la promotion du naturisme en liberté (APNEL) ont intenté un recours à l’encontre d’une interdiction préfectorale d’une « cyclonue » ou « world naked bike ride » par arrêté du 8 septembre 2019, s’agissant de la nudité sur le parcours.
Par jugement en date du 19 juin 2020, le tribunal administratif de PARIS déboutE les demandeurs de leur recours en annulation dudit arrêté.
Par arrêt en date du 14 avril 2022, la Cour administrative d’appel de PARIS confirme le jugement du tribunal administratif notamment pour les motifs suivants :
« 4. (...) Conformément à la jurisprudence constante de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (...) l’exhibition sexuelle (...) est susceptible d’entraîner des troubles à l’ordre public, alors même que l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle (...) enfin, le principe de la liberté vestimentaire, laquelle est une composante de la liberté personnelle, doit se concilier avec les exigences inhérentes à la sauvegarde de l’ordre public, lesquelles peuvent légalement fonder une interdiction de circuler en état de nudité sur la voie publique (...)
14. En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que les participants avaient l’intention de se montrer nus aux yeux des autres (...) [A]u regard des objectifs poursuivis par les organisateurs de la manifestation, le préfet de police ne pouvait en principe, au seul motif que les éléments matériels de l’infraction prévue par l’article 222-32 du code pénal auraient été réunis, refuser d’autoriser cette manifestation sans prendre en considération dans l’appréciation qu’il lui appartient de porter pour l’exercice des pouvoirs à lui dévolus par l’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, d’une part, l’atteinte à la liberté d’expression qu’emporte nécessairement une interdiction de manifestation et, d’autre part, l’importance des troubles, notamment matériels, à l’ordre public susceptibles de résulter de l’autorisation de la manifestation.
(...)
19. (...) [T]ant la liberté d’expression que la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association, garanties par les stipulations des articles 10 et 11 de la Convention (...), dont il ne s’infère pas qu’elles auraient pour objet ou pour effet de garantir la liberté de circuler en état de nudité sur la voie publique, ne s’exercent pas de manière absolue (...) »
Sur pourvoi de l’APNEL, le Conseil d’état déclarait celui-ci non admis.
C’est ainsi que l’affaire a été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme.
La jurisprudence de la cour était en l’état fixée par l’arrêt Stephen Gough dit « le randonneur nu ». Même si celui-ci avait été débouté, certains points avaient été fixés :
1) En premier lieu l’état de nudité relève de la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la convention
2) Une interdiction de la nudité constitue une « ingérence » (en quelque sorte une exception) à ce droit
3) Il convient de vérifier si cette ingérence est justifiée au regard de la convention au sens du deuxième alinéa de cet article.
Les « ingérences » sont régies par les derniers alinéas des articles de la convention. Ainsi l’article 10 est libellé ainsi :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
Pour l’arrêt Gough c. Royaume Uni, la cour avait relevé, et cela avait semblé important à l’auteur de ces lignes que « Sur le point de savoir si les mesures litigieuses étaient « nécessaires dans une société démocratique », la Cour note qu’elles "n’étaient pas le résultat d’une interdiction générale frappant la nudité en public. »
lle relevait ensuite le « jusqu’au-boutisme » de S. Gough qui voulait être nu « en tout lieu » pour le débouter.
Pouvait-on en déduire qu’une « interdiction générale frappant la nudité en public » était susceptible de constituer une ingérence trop importante et qu’elle était susceptible d’être déclarée contraire à la convention par la Cour ? A notre sens oui. Mais ce ne fut pas le cas.
Par arrêt en date du 12 septembre 2024, la Cour a débouté l’APNEL pour les raisons suivantes :
- L’APNEL avait pour but délibéré de ne pas se conformer au droit en vigueur
- Le préfet de police n’avait donc pas d’autre choix que d’interdire
- Citant une jurisprudence antérieure, elle énonce que la liberté d’exprimer des opinions au cours d’une réunion pacifique revêt une importance telle qu’elle ne peut subir une quelconque limitation dans la mesure où l’intéressé ne commet pas lui-même, à cette occasion, un acte répréhensible,
- Les juridictions internes ont bien mis en balance les droits des requérants et le risque de trouble à l’ordre public
- aussi bien le tribunal administratif que la cour administrative d'appel ont jugé que l’infraction d’exhibition sexuelle, réprimée par l’article 222-32 du code pénal, ne constitue qu’une atteinte limitée à la pratique collective du nudisme, dès lors qu’elle ne vise à interdire l’exhibition de tout ou partie de son corps à la vue du public que dans des lieux ouverts au public (paragraphes 5 et 6 ci-dessus).
L’association requérante est donc déboutée.
Cet arrêt constitue-t’il une mauvaise nouvelle ? Oui et non.
Oui car les arrêts de la CEDH sont d’application « directe » dans les droits des Etats membres, comme l’a énoncé la Cour de cassation en sa formation la plus solennelle, l’assemblée plénière :
« Attendu que les Etats adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation »
Donc lesdites décisions dont celle qui nous concerne peuvent être invoquées directement en droit français.
Non car la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas compétente, comme on peut le lire ça et là , en matière des droits de l’homme en général, mais en matière de la convention européenne des droits de l’homme. Or il y a d’autres textes qui traitent des droits de l’homme :
- la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789,
- la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
En revanche dans les recours à l’encontre d’une décision d’interdiction de la nudité, il vaudra mieux, pour un certain temps en tout cas, ne pas invoquer la Convention européenne des droits de l’homme.