ANIMOSITÉS ET ATTAQUES DANS L’INTERNET PARTICIPATIF

 

Depuis l’accès à l’internet et plus particulièrement le développement des communautés, forums et réseaux sociaux, jamais les mises en relations entre personnes partageant un intérêt commun sur un sujet donné, mais qui ne se seraient probablement jamais rencontrées hors de ces communautés, n’a été aussi facile.

Ce qui précède est ce que l’on peut appeler une version idyllique. Mais à côté de mises en relation harmonieuses et constructives, il peut être constaté un développement et une amplification d’un phénomène multiple que l’on a regroupé sous le terme générique de « haine sur internet ».

Il est vrai que chez certains usagers, la présence d’un écran semble être perçue comme une protection qui les rend inaccessibles, inatteignables et donc à l’abri de toute réponse aux attaques qu’ils ne manquent pas de lancer.

Le premier protagoniste qui vient à l’esprit est « troll ». Un troll sur internet créée des polémiques artificielles et sème donc la perturbation.

Mais à côté du troll dont il est tout compte fait pas si difficile que cela de se protéger, nous trouvons des internautes animés par une rage, voire une haine, soit à l’encontre d’une personne dénommée, soit à l’encontre d’un groupe de personnes en fonction d’un critère (origine, orientation sexuelle, etc..)

Internet est souvent présenté comme une « zone de non-droit ». Ce n’est pas le cas. Au contraire les règles de droit foisonnent. Le problème se trouve plus dans leur application.

L’accès à internet est un droit fondamental consacré par le Conseil constitutionnel : « en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, la libre communication des pensées et des opinions implique la liberté d'accéder à ces services » (Cons. const., 10 juin 2009).

Le propos de cette chronique et de celles qui vont suivre dans les prochains numéros est de rappeler certaines règles au demeurant valables non seulement dans l’espace virtuel mais également dans l’espace réel.

La première distinction à opérer dans l’espace virtuel des réseaux sociaux, forums et autre est la distinction entre communications privées et communications publiques.

Elle est fondamentale notamment mais pas seulement en matière de diffamation et d’injure. Ainsi les diffamations et injures publiques constituent des délits (infractions de gravité intermédiaire entre le crime et les contraventions) réprimés par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, tandis que les diffamations et injures non publiques sont des contraventions.

En effet, cette loi par son article 23 étend son champ d’application à la communication électronique.

De même l'article 6-V de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique pose le principe selon lequel « les dispositions des chapitres IV et V de la loi du 29 juillet 1881 [en ce qu’elles définissent les infractions et les procédures applicables] sont applicables aux services de communication au public en ligne ».

Or la jurisprudence de la cour de cassation, dit que la condition de publicité nécessaire aux infractions du droit de la presse est remplie, au sens de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors que les écrits litigieux sont adressés à des personnes qui ne sont pas liées par une communauté d'intérêts. Encore faut-il définir celle-ci, au-delà d’un partage d’objectifs, de valeurs, d’idées.

S’agissant des blogs, leur caractère public ne pose guère de difficultés.

La question est plus floue s’agissant du « web participatif », comme les réseaux sociaux.

Pour ce qui concerne Twitter, il n’y a a priori aucune difficulté. Les messages sont publics et même accessibles à ceux qui ne sont pas inscrits.

Pour Facebook, la question peut être plus délicate, dans la mesure, où les « murs » et groupes sont paramétrables.

La jurisprudence a tranché s’agissant d’un mur accessible aux seuls amis par un arrêt de la cour de cassation du 10 avril 2013 :

« Mais attendu qu'après avoir constaté que les propos litigieux avaient été diffusés sur les comptes ouverts par Mme X... tant sur le site Facebook que sur le site MSN, lesquels n'étaient en l'espèce accessibles qu'aux seules personnes agréées par l'intéressée, en nombre très restreint, la cour d'appel a retenu, par un motif adopté exempt de caractère hypothétique, que celles-ci formaient une communauté d'intérêts ; qu'elle en a exactement déduit que ces propos ne constituaient pas des injures publiques..; »

L’on peut déduire de cet arrêt que, pour que les injures et/ou diffamations ne revêtent pas un caractère public sur un espace abonné à un réseau social, deux conditions cumulatives doivent être remplies :

  • Les personnes doivent être agrées par le titulaire de l’espace
  • Elles doivent être en nombre très restreint.

La difficulté réside alors en la définition d’un seuil au-delà duquel le nombre n’est plus très restreint. Mais il est clair qu’un abonné, par exemple à facebook qui a plusieurs centaines « d’amis » devrait voir ses propos définis comme « publics ».

Qu’en est-il des « groupes », ou « communautés » ?

La distinction est grosso modo la même que s’agissant des murs facebook par exemple.

Constituent-ils une communauté d’intérêts ou non ?

La jurisprudence s’est penchée sur la question depuis le début des années 2000 et apparaît fixée.

Ainsi, lorsque l'accès et l'utilisation d'un forum sont contrôlés par une personne gestionnaire qui agrée les participants, qui les filtre et les contrôle, les tribunaux appliquent le droit des communications privées, selon un jugement du Tribunal de grande instance de Paris en date du 12 décembre 2001).

Mais, a contrario, le fait de soumettre l'inscription à un forum à une modalité telle que le remplissage d'un questionnaire ne permet pas d'en réserver l'accès à des internautes déterminés, de telle sorte que le forum en question doit être considéré comme ouvert au public ainsi qu’il ressort d’un jugement de la même juridiction en date du 5 juillet 2002.

Et en cas de groupe ouvert au public, les propos qui y sont tenus seront pour la plupart (hors exceptions que nous aborderons ultérieurement) soumis au droit de la presse.

Quelles sont les conséquences notamment s’agissant des responsabilités civiles et même pénales ?

Au terme de l’article 93-2 de la loi de 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle :

« Tout service de communication au public par voie électronique est tenu d'avoir un directeur de la publication ».

Dans le cas d’un groupe le directeur de la publication sera le ou les administrateurs de la page.

Or selon l’article 93-2 de la même loi :

« Au cas où l'une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est commise par un moyen de communication au public par voie électronique, le directeur de la publication ou, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article 93-2 de la présente loi, le codirecteur de la publication sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public.

A défaut, l'auteur, et à défaut de l'auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal.

Lorsque le directeur ou le codirecteur de la publication sera mis en cause, l'auteur sera poursuivi comme complice ».

Ce qui signifie dans le cas d’un message diffamant, injurieux ou autre est émis dans un groupe, l’auteur principal de l’infraction sera l’administrateur du groupe, l’auteur lui-même étant complice, tout comme l’auteur d’un article dans un journal par rapport au directeur de la publication de celui-ci.

Dans le prochain numéro, nous aborderons plus spécifiquement les infractions de diffamation et d’injure.

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